NOUVELLE ÉDITION
PARIS
LIBRAIRIE FRANÇAISE
ALPHONSE PIAGET, ÉDITEUR
16, RUE DES VOSGES, 16
1888
La petite fille se faisait tirer par le bras, car lachaleur de ce mois de juillet était vraiment suffocante.Elle voyait, de loin en loin, des places trèsdésirables dans les fossés de la route, des places oùune petite fille comme elle eût trouvé autant d'ombreet autant d'herbe qu'elle en pouvait souhaiter.Mais la cousine Tulotte marchait à grands pas, sansombrelle, tirant toujours, ne soufflant jamais, insensibleaux rayons brûlants du soleil.
—Tulotte! déclara tout d'un coup la petite, j'aitrop chaud, je ne veux plus.....
—Allons donc! cria mademoiselle Tulotte, est-cequ'une fille de militaire doit reculer? Nous avonsfait la moitié du chemin. Ta mère n'est pas contentequand tu restes à la maison. Il te faut de l'exercice,tu deviendrais bossue si on t'écoutait. Ah! tu es unefameuse momie!
L'idée fixe de la cousine Tulotte était que les enfantsdeviennent bossus lorsqu'ils annoncent desgoûts sédentaires. Elle avait la plus triste opinionde cette petite Mary qui demeurait des journées entièresà rêver dans les coins noirs, la chatte de lacuisinière sur les bras, berçant la bête avec un refrainmonotone et pensant on ne savait quoi demauvais.
Mary s'arrêta prise de colère.
—Non, je ne veux plus! répéta-t-elle en enfonçantses ongles dans le poignet de la cousine.
Celle-ci fit un haut-le-corps d'indignation.
—La voilà qui me griffe, à présent!... fit-elle, et,si elle n'avait pas tenu de l'autre main une boîte aulait, elle eût vigoureusement corrigé l'irrasciblecréature.
—Je le dirai à ton père! s'écria la cousineTulotte.
Puis, sentant que l'enfant allait se révolter, selonsa méthode ordinaire, c'est-à-dire qu'elle n'ajouteraitpas un mot, pas une larme, et qu'elle n'avanceraitpourtant pas davantage, elle l'emporta. Maryeut un rire silencieux. Ce rire plissa d'une façontrès singulière sa petite figure; il signifiait peut-êtreque l'enfant connaissait déjà la valeur d'une égratignurefaite à propos.
Le chemin que prenaient presque tous les joursvers la même heure, Mademoiselle Tulotte et sonélève, descendait de Clermont-Ferrand pour allerjusqu'aux abattoirs de la ville. On passait d'abordentre les murs de deux grands jardins. L'un, à gauche,était planté d'arbres énormes: des saules,des sapins, des ifs. L'autre, à droite, était très ratissé,avec peu d'ombrage et beaucoup de légumesen rangs interminables: des choux, des salades,des oignons, des melons, aussi quelques rosiers, dusyringa, des pensées, des corbeilles de thym. Dansle premier il y avait une maisonnette fort jolie,toute sculptée, surmontée d'une croix brillante.Dans le second se dressait une simple cahute deplanches couverte de chaume moisi.
Plusieurs fois, Mary avait demandé pourquoi lepropriétaire du jardin aux beaux grands arbres nese montrait pas, tandis que l'on apercevait sanscesse un homme, dans les vilains choux, un hommecoiffé d'un épouvantable chapeau de paille, avec unebêche ou un arrosoir.
Tulotte, en dehors de la grammaire, n'aimaitpoint les questions, elle répondait:
—C'est que l'autre jardinier est mort!
En réalité, les saules et les ifs dissimulaient destombes, mais le mot cimetière lui paraissait difficileà prononcer devant une enfant de sept ans.
Derrière ce cimetière, s'étendait une plaine coupéepar des sentiers poudreux: c'était la campagne, etdes