La maison était basse, toute en rez-de-chaussée, avecun humble visage. Près d'une fenêtre ouverte, dans unfauteuil armorié, un homme, un grand vieillard à têteblanche; une de ces rudes physionomies comme enportaient les capitaines qui avaient survécu aux épopéesguerrières du temps du roi François I.
Il fixait un morne regard sur la masse grise dumanoir féodal des Montmorency, qui dressait au loindans l'azur l'orgueil de ses tours menaçantes.
Puis ses yeux se détournèrent. Un soupir terriblecomme une silencieuse imprécation gonfla sa poitrine;il demanda:
—Ma fille?... Où est ma fille?...
Une servante, qui rangeait la salle, répondit:
—Mademoiselle a été au bois cueillir du muguet.
—Oui, c'est vrai, c'est le printemps. Les haiesembaument. Chaque arbre est un bouquet. Tout rit,tout chante, des fleurs partout. Mais la fleur la plusbelle, ma Jeanne, ma noble et chaste enfant, c'esttoi...
Son regard, alors, se reporta sur la formidablesilhouette du manoir accroupi sur la colline.
—Tout ce que je hais est là! gronda-t-il. Là est lapuissance qui m'a brisé, anéanti! Oui, moi, seigneurde Piennes, autrefois maître de toute une contrée,j'en suis réduit à vivre presque misérable, dans cethumble coin de terre que m'a laissé la rapacité duConnétable!... Que dis-je, insensé! Mais ne cherche-t-ilpas, en ce moment même, à me chasser de ce dernierrefuge!...
Deux larmes silencieuses creusèrent un amer sillonparmi les rides de ce visage désespéré.
Soudain, il pâlit affreusement: un cavalier, vêtu denoir, entrait et s'inclinait devant lui!...
—Enfer!... Le bailli de Montmorency!...
—Seigneur de Piennes, dit l'homme noir, je viensde recevoir de mon maître le connétable un papierque j'ai ordre de vous communiquer à l'instant: cepapier que voici, c'est la copie d'un arrêt du Parlementde Paris en date d'hier, samedi 25 avril de cetan 1553. L'arrêt porte que vous occupez indûment ledomaine de Margency; que le roi Louis XII outrepassason droit en vous conférant la propriété de cette terrequi doit faire retour à la maison de Montmorency, etqu'il vous est enjoint de restituer castel, hameau,prairies et bois.
Le seigneur de Piennes ne fit pas un mouvement,pas un geste. Seulement, une pâleur plus grande serépandit sur son visage, et sa voix tremblante s'éleva:
—O mon digne sire Louis douzième! et vous, illustreFrançois Ier! sortirez-vous de vos tombes pour voircomme on traite celui qui, sur quarante champs debataille, a risqué sa vie et versé son sang? Revenez,sires! Et vous assisterez à ce grand spectacle du vieuxsoldat dépouillé parcourant les routes de l'Ile-de-Francepour mendier un morceau de pain!
Devant ce désespoir, le bailli trembla.
Furtivement, il déposa sur une table le parcheminmaudit, et il recula, gagna la porte et s'enfuit.
Alors, dans la pauvre maison, on entendit une clameurfunèbre déchirante:
—Et ma fille! Ma fille! Ma Jeanne! ma fille estsans abri! Ma Jeanne est sans pain! Montmorency!malédiction sur toi et toute ta race.
La catastrophe était effroyable. En effet, Margency,qui depuis Louis XII appartenait au seigneur dePiennes, était tout ce qui restait de son anciennesplendeur à cet homme qui avait jadis gouverné laPicardie. Dans l'effondrement de sa fortune, il s'étaitréfugié dans cette pauvre terre enclavée dans lesdomaines du connétable.
Maintenant, c'était fini! L'arrêt du Parlement,c'était, pour Jeanne de Piennes et son père, lamisère honteuse.
Jeanne avait seize ans. Mince, frêle, fière, d'uneexquise él