13 août 19...
Hier, vendredi, neuvième jour de mon ère nouvelle, turque, j'ai étéprésenté, après le Sélamlick, à Sa Majesté Impériale le Sultan.
Rien de notable en cette cérémonie. Au cours de ma carrière, plusdiplomatique, hélas, que soldatesque, pas mal de Majestés m'ont déjàaccueilli, avec d'identiques sourires, dans des cabinets identiquementmeublés. L'empereur des Ottomans ne diffère pas beaucoup d'aucun deses confrères. Il a toutefois l'air plus intelligent et moins vulgaireque la plupart d'entre eux. Par ailleurs, cérémonial analogue, etconversation protocolaire selon l'immuable rite international. Sansefforts, j'aurais pu me croire à Rome ou à Pétersbourg.
Par contre, avant la présentation, incident assez curieux: nousétions, l'ambassadeur et moi, en compagnie d'une douzaine depersonnages du corps diplomatique, dans le salon d'attente; sous lesfenêtres, les régiments de la garde se massaient pour cette superbeparade qui précède la prière du Sultan dans sa mosquée.
C'est alors qu'un Turc est entré, un très beau Turc de la grande racecircassienne, éblouissant dans un uniforme à larges broderies. Il amarché droit sur l'ambassadeur, d'un pas brusque de soldat, et, aprèsla poignée de mains:
—Votre Excellence me fera-t-elle l'honneur?... dit-il en me désignant.
J'ai été nommé aussitôt, copieusement:
—Mon nouveau colonel, le marquis Renaud de Sévigné Montmoron.
(Narcisse Boucher, ambassadeur de la République, ne manque jamaisune occasion de faire sonner les particules et titres qu'il regretteamèrement de ne point avoir lui-même.)
Cela, d'ailleurs, est une réflexion de l'escalier.
Sur le moment, je n'ai eu l'esprit de songer à rien autre qu'au Turc,qui me plantait en plein visage le regard de ses yeux bleu foncé, droitcomme une épée.
—Vous ne me reconnaissez pas, monsieur le colonel? Mehmed pacha!
«Mehmed pacha», ici, c'est à peu près aussi précis qu'en France, «comteJean» ou «marquis Pierre». L'ambassadeur, déférent, a complété:
—Son Excellence le maréchal Mehmed Djaleddin pacha, chef du cabinetpolitique de Sa Majesté....
Chef du cabinet politique, alias prince des espions du Palais? Non,cela ne réveillait absolument rien dans ma tête. Le Turc souriait.
—Rappelez-vous ... le yacht du duc d'Épernon, la Feuille de Rose!...
Ah! du coup je me suis rappelé!... mais, dans ce salon impérial, larencontre était imprévue.
Une histoire vieille de douze ans:—mon premier voyage àConstantinople, à bord de cette Feuille de Rose, démolie aujourd'huidepuis des années. Nous avions passé huit jours devant Stamboul. Et,la veille du départ, d'Épernon, en grand mystère, avait faufilé à bordune sorte de mendiant merveilleusement déguisé. C'était Mehmed bey,sur qui Sa Majesté venait de jeter l'œil de la défaveur, et quijug