QUATRIÈME ÉDITION
[* Note du transcripteur: 2 illustrations manquent au présent document, le document source affichant des reproductions totalement inutilisables.]
M. Colin-Tampon avait cinquante ans; il étaitpropriétaire d'une jolie villa sur le territoire deCourbevoie, et, par-dessus le marché, conseillermunicipal.
Il va sans dire que M. Colin-Tampon avait étéjeune dans son temps. Si nous le prenons à l'âgede seize ans, nous remarquons qu'il s'appelaitalors Colin tout court, qu'il étudiait pendant lejour les mystères de la mercerie, rue Saint-Denis,à l'enseigne du Bouton-d'Or, sous les auspices deM. Tampon, patron peu endurant; la nuit, il dormaità poings fermés dans une soupente situéeau sixième étage de la maison même où habitaitson patron. Comme il n'était point ambitieux, sesrêves, quand par hasard il rêvait, ne lui montraientpoint la jolie villa de Courbevoie ni leshonneurs municipaux; oh, mon Dieu, non! Ilrêvait qu'il y avait deux dimanches par semaineau lieu d'un, ou bien que la morue n'apparaissaitqu'une fois par semaine, au lieu de cinq, sur latable du patron.
N'allez pas conclure de là que le jeune ErnestColin fut un paresseux ou un gourmand. Sonpatron le faisait travailler avec une sévérité siimplacable, que le soir «les jambes lui rentraientdans le corps». Il était donc bien excusable desoupirer après le jour du repos. Quant à la morue,mon intention n'est point d'en dire du mal. C'estun mets exquis pour ceux qui l'aiment, et encoreà condition qu'ils n'en abusent pas. Ernest enabusait, et il en abusait bien malgré lui, car ilavait une horreur instinctive pour ce mets, cherà M. Tampon.
Arrivé à l'âge de vingt-cinq ans, Ernest descenditde la soupente pour épouser la fille de sonpatron, lequel s'en alla planter ses choux à Charenton,tout en conservant un intérêt dans lesaffaires du Bouton-d'Or.
Un peintre en bâtiments dressa son échelle lelong de la devanture et, devant le mot Tampon,peignit le mot Colin, ce qui fit Colin-Tampon.Mais comme l'image du Bouton-d'Or, qui planaitau-dessus du mot Tampon, ne se trouvait plus aumilieu de l'inscription, le peintre, pour rétablirla symétrie, ajouta, à droite de Tampon, et Cie,ce qui fit Colin-Tampon et Cie. Comme cetteaddition ne pouvait faire de tort à personne, personnene réclama.
Vers la quarantaine, M. Colin-Tampon eut unviolent accès de goutte. Dans ses méditations solitaires,qui toujours roulaient sur la mercerie, illui vint une inspiration de génie, et il inventa lebouton inamovible qui fit sa fortune.
Devenu riche, il se retira à Courbevoie et futbientôt élu conseiller municipal. Cependant lagoutte le tracassait et l'embonpoint commençait àl'envahir.
Il consulta ses amis, qui lui enseignèrent desremèdes de bonnes femmes, et ne s'en trouva passoulagé. Sur le conseil de son médecin, il prit unport d'armes, acheta un harnachement de chasseuret un chien. Puis, un jour, il apparut en grandéquipage aux yeux éblouis de sa femme et de saservante, fier comme Artaban et beau commeApollon P