CORRESPONDANCE MILITAIRE
«... Nous venons de...; nous allons à... (il ne faut pas dire où); ni
malade, ni blessé; tout va très bien....»Dessin de Georges SCOTT.
Le drapeau de la fenêtre.--Dès le premier jour de la mobilisation,Paris s'est pavoisé. Il l'a fait avec un tact et un culte de la nuanceinfiniment délicats. Ce pavois est sage, raisonnable, sans rien defanfaron. Il affirme une croyance et traduit un espoir, mais ne déploieaucune vantardise. Loin de vouloir anticiper, il se réserve, il ne donnepas son plein, et l'on sent bien que son seul but est d'inviter lavictoire en se gardant de l'afficher la veille. Un, deux, troisdrapeaux, placés çà et là à un balcon, font comprendre, à ne pas s'ytromper, qu'ils ne sauraient représenter tout l'effectif de la maison...Le regret avec lequel ils s'espacent parle de lui-même... Ce sont desdrapeaux «d'avant-garde», tout simplement... A mesure que s'engagerontles batailles, que s'affronteront les armées, que grandiront les lutteset se décidera la gloire... un par un, puis par tas, par gerbes, parbouquets, les autres qui sont à l'arrière, dans les chambres,sortiront par les fenêtres pour apparaître, faire feu de toutes leurscouleurs et se dérouler le long du front. Il y en a ainsi des milliersde français, de belges, d'anglais, de russes, qui n'attendent que lemoment prochain de fleurir et d'enrubanner nos murailles.
Pour l'instant, le drapeau est le plus souvent isolé. Sentinelle de laterrasse, vigie de la mansarde, factionnaire de la porte d'entrée, il serecueille et ne s'abandonne pas encore à l'expansion. Mais il accentuechaque jour davantage sa personnalité, il s'impose à nous, se mêle ànotre vie, entre dans nos yeux et nos pensées dont il devient une chèrehabitude.
Peu d'occasions, jusqu'ici, s'offraient à nous de le fréquenter. Nousn'avions avec lui que de rares et courts entretiens. Une ou deux foisl'an, à une fête nationale, ou en l'honneur de Jeanne d'Arc, ou pour unevisite de souverain, nous le tirions du réduit où il s'attristait dansl'ombre et la poussière, pour l'aérer pendant quelques heures... Iljouait ainsi son rôle officiel et puis il rentrait dans l'obscurité. Ilmenait une existence intermittente et sans esprit de suite. Depuis le 2août 1914, il s'est secoué. Le voilà au premier rang. C'est lepersonnage principal de la nation, du monde entier. Le drapeau domineactuellement l'Europe et l'univers. Il flotte au-dessus de tous lespartis et de tous les sommets. Il survole vingt peuples.
Mais, sans le regarder aussi haut, sans le voir de si loin,considérons-le, chacun, de tout près puisqu'il ne nous quitte pas, qu'ilest, à poste fixe, attaché à la croisée où il fait la campagne pour desmois, pour un temps dont nous ne pouvons estimer ni limiter la durée...Il vaut la peine que nous l'étudiions. Sous son apparente égalitéd'humeur, jamais il n'est le même. Pendant que j'écris, j'en aijustement un, à trois pas de ma table, et qui, dehors, bouge et vit,comme quelqu'un de penché et d'accoudé sur la rampe. S'il m'arrive del'oublier... le mouvement qu'il fait tout à coup me trouble... et puisje me rassure: «Je sais... c'est le drapeau.» Il étend sur mon papierdes ombres de nuage, de branche et d'oiseau, des lueurs de pourpre etd'azur. Il enfourche et chevauche comme un bon cavalier la moindrebrise. Il se balance comme un hamac, se gonfle et